Parce qu’elle met en présence des personnages de pays et de temps éloignés, parce que toutes les vanités humaines s’anéantissent au moment de la mort, cette forme de dialogue ouvre un champ d’une variété très importante et permet une invention permanente où l’on peut exprimer sans affectation les idées les plus opposées à celles qui sont généralement reçues.
Nous avons découvert ce genre littéraire à travers Fénelon, à une période où nous cherchions une voie autre que l’exposition pour montrer et transmettre une pratique artistique vécue comme une expérimentation de la vie quotidienne insoumise et incandescente.
Nous voulions montrer que cette nécessité de vivre l’impossible n’est rien d’autre que la possibilité pour de petits groupes d’une vie de création permanente.
La création implique bien plus que le simple travail artistique, c’est surtout la possibilité de générer des lieux de liberté pour l’imagination.
Dans cette perspective, les «Dialogues des morts» nous ont procuré un cadre idéal pour construire des langages qui parleraient de cette possibilité de création, de ce projet de vie. Un cadre que l’adaptation filmique permettait de montrer.
Nous avons donc établi une liste de sujets de dialogues qui permettent de réunir à chaque fois, deux célèbres morts de l’histoire de l’art ou de la pensée, ayant vécu à des époques différentes ou non, interprétés par des artistes ou des penseurs vivants, sous la forme de conversations filmées.
Comme nous ne voulions pas que cette parole soit improvisée, l’écrire pour fabriquer un parler spécifique est devenu indispensable. Un parler, un style d’énoncé, écrit au plus près du langage des protagonistes et des propos qu’ils ont tenus ou qui leur ont été attribués.
Cette parole, une fois composée, n’est utilisée ni comme accompagnement, ni comme commentaire, mais comme matière esthétique. Il s’agit de porter le langage de l’art à l’écran.
S’ajoute à cela, la volonté de montrer dans les Dialogues Fictifs des morts qui continuent de penser sur l’époque actuelle, mais par l’intermédiaire des vivants. Les voix des vivants reprennent et se glissent dans celles des morts, mais en éprouvant toujours le besoin de ramener leurs dialogues au présent, leurs conversations à aujourd’hui. La fiction vidéographique permet dès lors de construire un espace qui propose une nouvelle relation de communication entre les anciens, les modernes et les vivants. Elle génère des récits de créations excentriques, à l’intérieur desquels, par exemple, Luther écrit des chansons pour Madonna, Vinci et Poussin se disputent en faisant leur jogging, Elvis promène Marie-Madeleine en Piaggio et Le Corbusier fait voyager Dürer en tapis volant...
Un projet artistique qui passe par la construction d'un espace filmique animé par un texte véritablement poétique mettant en transe l'histoire de l'art, parce qu'il montre simplement des artistes vivants jouant à des artistes morts qui se sont libérés des modes actuels de communications et de productions artistiques, pour faire parler les oeuvres.

De même, si nous détestons l'art qui produit de la domination c’est-à-dire qui valorise ceux qui le font pour ceux qui le produisent, il est normal que nos films soient une ovation pour tous les autres.